Guerre d’horizon sans rivage

En 1494, la récente maîtrise des voies maritimes vers l’Orient puis la découverte de l’Amérique bouleversent le rapport des Européens au monde et inaugurent une ère nouvelle où fortune, gloire et puissance récompensent l’audace par les voiles. Le jeu se déplace de la Méditerranée vers l’Océan mondial via l’Atlantique ; les grandes explorations puis la première mondialisation bâtiront progressivement la suprématie maritime et coloniale européenne qui s’exprimera jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. 

Par chance, la France a alors a priori tout pour prendre la direction de cette nouvelle ère : elle est la première puissance démographique européenne ; surtout et pour la première fois, le Royaume a les coudées franches en ayant définitivement bouté les Anglais en 1453 et soumis les irrévérencieux duchés à ses flancs : la Bourgogne en 1477 puis la Bretagne en 1491. 

Pourtant, Charles VIII engage toutes ses forces militaires et financières, non vers les Indes, mais pour reconquérir le Royaume de Naples, sous dynasties françaises depuis la conquête normande de 1130 et estimé indûment perdu en 1442 lorsque la maison d’Anjou en fut chassée par celle d’Aragon. L’expédition est un désastre et Charles VIII repart piteusement avec ses armées, sans aucun bout d’Italie et avec des bouts de France en moins. 

Lui succédant en 1498, Louis XII a pour point commun avec son cousin non seulement le lit d’Anne de Bretagne, mais également des prétentions italiennes, d’abord sur le Duché de Milan qu’il estime tenir de son sang Visconti, puis, à nouveau, sur Naples. Persistant et signant, Louis XII projette à nouveau la France pour l’Italie, bourbier qui condamnera ensuite François Ier à une lutte perpétuelle avec Charles Quint. L’éclatement des guerres de religion à l’intérieur du Royaume scellera définitivement le verrou continental qui privera la France de toute action mondiale lors de la Renaissance. 

On objectera avec raison les explorations canadiennes de Jacques Cartier (1534 – 1542) et les tentatives d’implantations à Rio de Janeiro par Nicolas Durand de Villegagnon (1554 – 1560) et en Floride par Jean Ribault (1562 – 1565) ; mais elles sont relativement tardives et, surtout, demeurent lettres mortes faute de soutien politique, militaire et financier. Il faudra attendre le Grand Siècle, sous l’impulsion de Montmorency, Richelieu puis surtout Colbert, pour que la France se dote d’une marine digne de ce nom et cesse de ne considérer le champ de ses intérêts que dans les dimensions déjà étroites de la Vieille Europe.

 

Marées hautes et marées basses

Cet épisode des Guerres d’Italie est symptomatique des rendez-vous manqués de la France avec la mer, de sa tendance à ne se projeter que comme une puissance continentale. Car, bien que sa plus antique cité, Massalia, ait été fondée par des marins et que, parmi les plus ardents résistants lors de la Guerre des Gaules, les Vénètes surpassaient Rome en matière navale, la France et les Français ont continuellement déconsidéré la mer. Mais, comme méconnaître une chose ne la fait pas disparaître, notre cécité marine n’a pu nous épargner la force des vagues lorsque l’histoire chavire. Ô souvent que ce qui fut gloire ou désastre sur notre sol était porté par nos voiles ou présagé d’épaves. 

La Guerre de Cent Ans en est un éloquent exemple. C’est ainsi la perte de notre flotte lors de la Bataille de l’Ecluse en 1340 qui permit aux Anglais de prendre contrôle de notre façade atlantique et d’y convoyer librement leurs troupes. Sans cela, ni Crécy ni Poitiers. On connaît la reconquête menée par Bertrand du Guesclin, mais l’épopée du Dogue Noir de Brocéliande eût été impossible sans l’action de son alter ego sur les flots, Jean de Vienne, premier amiral de France, qui par de multiples attaques sur les côtes anglaises, coupa les liaisons entre elles et le continent. Mais à la mort de Jean de Vienne, toute politique maritime fut laissée en friche : les Anglais reprirent la Manche et vint Azincourt.

Par-delà, les exemples sont multiples : Louis XIV n’aurait pu consolider les frontières sans ériger une Royale rivalisant avec les Anglais en Atlantique, les Hollandais en Mer du Nord et les Espagnols en Méditerranée. Pas de Vauban sans Duquesne. Y aurait-il eu Trafalgar puis Waterloo si la Révolution n’avait pas négligé sa flotte ? Qu’aurait-été la France Libre sans Saint Pierre et Miquelon, sans Brazzaville ni Alger ? 

Pourquoi restons-nous sur la plage ? Des motifs géographiques sont recevables. La double façade atlantique et méditerranéenne française est un atout, certes, mais ne présente pas les meilleures conditions d’abordage : les côtes sont en réalité peu à-même d’accueillir des ports en eaux profondes et il n’est guère aisé de manœuvrer dans les embouchures de nos grands fleuves. Cette bicéphalie littorale est également un coût : longtemps fallut-il à bout de bras financer les flottes du Ponant et du Levant, souvent aux intérêts ignorés et divergents. 

Des motifs politiques sont encore plus pertinents : l’héritage impérial à reproduire, qu’il soit romain (Rome qui fit les routes et les champs) ou chrétien (garantir le Salut suppose de dominer les âmes, qui sont sur terre et non sur mer) a déterminé la vision que l’Etat se faisait de lui – et le détermine encore tant. Également des motifs socio-économiques ne sauraient être occultés : une économie essentiellement agraire ; une noblesse attachée à la charge et à la rente foncière, ainsi peu encline au risque financier ; une défiance réciproque entre Etat et bourgeoisie ; etc.

 

L’erreur de la mer comme la terre

La France a donc un rapport ambigu avec la mer. Sa tendance naturelle est de l’ignorer, que ce ne soit directement en ne déployant pas de politique maritime à long terme ou indirectement en s’abstenant de soutenir ses aventuriers. Reste que, lorsque par exception, l’Etat engage son génie sur les flots, les effets sont spectaculaires, presque subjuguant. Mais ces états de grâce ne durent pas. Nos périodes de puissance maritime sont éphémères car manquent de relai. Et nos plus grandes aventures ultramarines se sont soldées dans le drame : Etats latins d’Orient, Sicile, Canada, Indochine, Algérie. Demain, la Nouvelle Calédonie ? 

Le terme « grand » est ici employé pour suggérer une hypothèse : une des causes communes de ces drames n’a-t-elle pas été de vouloir reproduire un modèle de puissance continentale sur nos possessions ultramarines ? Une fois pris un bout de terre par-delà les flots, nous y avons recherché les mêmes vecteurs de puissance attribués à la France continentale : population, superficie, ressources naturelles. 

Non seulement le manque d’appui de la métropole pour réaliser ces ambitions les condamna souvent, mais plus encore, cette perspective uniquement terrienne nous rendit aveugle au vecteur essentiel de la puissance maritime : le contrôle du point stratégique, celui par lequel tout passage est obligé ou recommandé. Or c’est cette maîtrise des pivots du monde, des caps, isthmes et détroits, qui donna gloire et fortune aux véritables puissances maritimes qui dynamitèrent l’histoire de l’Europe : Gênes et Venise, le Portugal, les Pays-Bas puis l’Angleterre. Ou l’histoire des civilisations en une maxime : le point plus que la surface ; la densité prime la masse.

Même à ne la considérer qu’au rang d’idée, cette réflexion surligne presque brutalement le paradoxe qui est le nôtre depuis soixante ans. En effet, depuis 1962 et l’indépendance de l’Algérie, la France s’est retrouvée délestée de ses ambitions continentales ultramarines et, sans s’en apercevoir, dotée des meilleures dispositions qu’elle ait pu avoir au cours de son histoire : des points, des postes de puissance maritime. 

Et pourtant, la France n’en fait rien : elle est souveraine mais en boude l’exercice. Elle ignore et méprise ses territoires extra-européens ; depuis soixante ans, de querelles en compromissions, la France s’obstine à ne voir que le (toujours plus) Vieux Continent, tandis qu’elle délaisse ses avant-gardes du bout du monde, ces projections qui nous ont fait défaut et que nous abandonnons parce que nous ne savons que mésestimer leur valeur.

 

La France archipel

Or le monde est nôtre. Nous appellerons pour s’en convaincre deux notions de droit maritime international issues de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, signée en 1982. La première est la zone économique exclusive (ZEE) : il s’agit d’une bande de mer de 200 miles marins (370 km) parallèle à la côte d’un Etat sur laquelle celui-ci dispose d’une exclusivité d’action sur les ressources naturelles s’y trouvant. Ainsi, sur cette matière déterminée, la souveraineté est-elle absolue, à peine de violation du droit international. En ce sens, comme extension particulière à celle qui sied classiquement au territoire terrestre, la ZEE constitue le plus grand espace sur lequel puisse s’exercer la souveraineté d’un Etat. 

Nous disposons de la première ou deuxième ZEE du monde, aux coudes à coudes avec les Etats-Unis d’Amérique ; autour de 11 millions de km² (contre 672 000 km² de superficie terrestre), soit environ 8% des ZEE du globe. Si l’on additionne ZEE et superficie terrestre et que l’on désigne la somme comme espace de souveraineté sur lequel un Etat est légitime à appliquer son seul droit, la France est le 7e plus grand Etat du monde, derrière la Russie, les Etats-Unis d’Amérique, le Canada, l’Australie, la Chine et le Brésil ; ces Etats étant les seuls à dépasser le seuil de 3% des espaces de souveraineté mondiale – la Russie, au premier rang, en représentant un peu plus de 8%. 

La France n’est donc pas – seulement – un Etat européen. En termes de superficie, plus d’un sixième de nos terres est situé hors d’Europe. Surtout, seul 8,5% de notre espace de souveraineté se situe sur le Vieux Continent, pour 7,5% aux Amériques, 24,7% dans la zone Afrique/Océan Indien et 59,3% en Océanie/Pacifique. En termes de présence, la France extra-européenne démultiplie donc nos champs d’action légitime. Ainsi ne sommes-nous pas frontaliers seulement de l’Allemagne, d’Andorre, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Italie, du Luxembourg, de Monaco, et de la Suisse, mais également :

  • de l’Australie ;
  • de la Barbade ;
  • du Brésil ;
  • du Canada ;
  • des Comores ;
  • de la Dominique ;
  • des Fidji ;
  • des îles Cook ;
  • des Kiribati ;
  • de Madagascar ;
  • de Maurice ;
  • du Mozambique ;
  • de la Nouvelle-Zélande ;
  • des Pays-Bas ;
  • du Royaume-Uni ;
  • de Sainte-Lucie ;
  • des Salomon ;
  • des Samoa ;
  • des Seychelles ;
  • du Suriname ;
  • des Tonga ;
  • de Tuvalu ;
  • de Vanuatu ;
  • du Venezuela.

 

L’Etat le plus mondial du monde

Evidemment, il serait insuffisant d’appuyer notre démonstration sur cette seule argumentation chiffrée dans la mesure où nous avons précédemment insisté sur la relativité de la superficie en matière maritime. Reste qu’elle ne peut être laissé pour négligeable, surtout lorsque l’idée d’échelle pertinente est opposée à la France par les champions de l’Union européenne alors que la première est plus vaste que la seconde. Ces champions qui ignorent également de remarquer qu’à l’heure de la globalisation, la superficie importe peu face au réseau ; ces apôtres de l’ouverture qui refusent de penser monde, s’enferment en Europe et rêves de larguer ces « régions ultrapériphériques » qui ne collent pas à leur projet immaculé.

En réalité, la surface n’est pas la seule caractéristique du positionnement maritime français, et n’en est pas la plus déterminante. Une chose est de disposer d’espace de souveraineté, une autre est de savoir si l’on peut tout y faire. Or, ce sont les eaux territoriales (notre seconde notion issue de la Convention de Montego Bay) qui expriment le mieux cette idée de densité. Là où la ZEE se réduit à un volet de souveraineté économique, les eaux territoriales sont une bande marine cette fois de 12 miles marins (22 km) – donc comprise dans la ZEE – sur laquelle l’Etat dispose des mêmes prérogatives souveraines que sur son territoire terrestre : police, justice, défense, etc. Or une chose est de savoir si l’on peut tout faire, toujours une autre est de savoir où l’on peut tout faire. 

Car plus les espaces – et en matière maritime, les points – de souveraineté sont dispersés, plus les rayons d’action stratégique se multiplient et plus la puissance peut être déployée. Et là encore, la France tire son épingle du jeu. Si l’on désigne aire de présence absolue comme l’addition de l’assise terrestre et des eaux territoriales d’un Etat, seuls deux sont présents sur plus de deux continents : la France et le Royaume-Uni, qui en occupent cinq sur les six – seule l’Asie leur échappe. Seuls quatre Etats sont présents sur plus de deux océans : le Canada, les Etats-Unis d’Amérique, la France et le Royaume-Uni, chacun sur trois des quatre que nous comptabilisons. 

Enfin, si l’on découpe la mappemonde en quatre zones équivalentes (ayant pour césure horizontale l’Equateur et pour césures verticales une première ligne longeant les côtes occidentales de l’Europe et de l’Afrique et une seconde reliant symétriquement le Kamtchatka russe à la côte orientale de l’Australie), seuls sept Etats sont présents sur plus d’une zone : l’Australie, l’Indonésie, le Japon (tous trois sur les deux aires orientales du fait de leur ancrage terrestre), le Danemark (sur les deux aires septentrionales grâce au Groënland), les Etats-Unis d’Amérique (absents sur l’aire Nord-Est) et une fois encore la France et le Royaume-Uni, seuls présents sur les quatre aires (cette complétude est à relativiser : la présence sur l’aire Nord-Est – aujourd’hui peut-être la plus stratégique car comprenant tout du Moyen-Orient jusqu’à la Mer de Chine – n’est due qu’à leur ancrage terrestre). Ainsi, il n’y a aucun Etat à être absolument partout. Mais nous sommes avec les britanniques ceux à être le plus souvent dans le coin.

 

Mer d’huile et vents nouveaux

La vérité est indiscutable, mais elle est ignorée ou, lorsqu’elle est sue, reléguée à l’anecdotique ou à l’encombrant. Comment expliquer, sinon, le désastre social qui frappe nos compatriotes ultramarins ? Niveau de vie, infrastructures, éducation, sécurité, emploi, santé : tout est nettement sous les niveaux de l’Hexagone. Qu’adviendrait-il si l’une de nos régions européennes devait être reléguée à ce seuil ? Prise de conscience médiatique, mobilisation politique, intervention de l’Etat. Pourquoi n’en est-il rien au-delà ? Paris sait que les revendications légitimes venant d’outre-mer ont peu d’écho et, pour dire vrai, s’en moque. Pourtant, la République est née une et indivisible.

Les conséquences regrettables de notre ancrage continental ne revêtent pas qu’une couleur sociale. Elles s’expriment également en termes géostratégiques. La valeur de nos îles (géographie) est terriblement mésestimée dans la construction et le maintien de la place de la France dans le monde (stratégie) – certainement parce que nous ne croyons pour beaucoup simplement plus à la possibilité de rayonner et, pire encore, à son utilité. Or, la France archipel est notre lueur, la main tendue qui nous proscrit l’abandon résigné. 

On se représente souvent en premier la géostratégie dans son aspect militaire. Il est indéniable mais il est préféré ne pas s’y attarder et inviter tout plus sachant à développer les avantages de projection navale que nous procure la France extra-européenne. Car dans chaque parcelle du globe où elle est (parce qu’elle y est chez elle souveraine, et non parce qu’elle justifie sa présence par un rapport de domination impérial ou tutélaire qui est rarement légitime, pacifique et durable car souvent injuste), la France a vocation à jouer sur les théâtres diplomatiques et militaires pour promouvoir et assurer son intérêt essentiel : la paix.

 

Danton au secours de nos îles 

Mais la géostratégie revêt également une dimension économique. Or sur ce point se manifeste une conséquence désastreuse du désintérêt pour l’Outre-Mer : à ne considérer nos îles que comme des boulets dont on hésite à se délester, on entretient un rapport de perfusion financière depuis Paris qui, de plans d’investissements sans conviction en incitations fiscales sans contrôle, creuse un abîme financier qui peine à maintenir nos compatriotes hors de l’eau, déresponsabilise les acteurs économiques locaux et les laisse en proie aux prédations étrangères. 

Il est donc nécessaire d’inverser le rapport en misant sur l’autonomie des France extra-européennes pour qu’elles s’émancipent du compte courant métropolitain. Or garantir ce développement nécessite une impulsion, stratégique et financière. Et pour que cela ne merdoie pas, cette mission incombe à l’Etat – investissement de toute évidence plus intéressant que le financement d’infrastructures en Europe de l’Est.

Pour ce qui est de la nature, la richesse de la France ultramarine n’est pas à démontrer mais à valoriser. Sans même se pencher sur les capacités agricoles, les terres conservent des ressources minérales extraordinaires : la Nouvelle Calédonie dispose d’une géologie unique au monde et regorge du tiers des réserves mondiales de nickel ; avec la Bretagne, les deux grandes réserves de terres rares françaises sont en Polynésie et en Guyane, par ailleurs riches en bois et en or. Sans même se pencher sur les ressources halieutiques, les ZEE contiennent également de notables réserves d’hydrocarbures, notamment au large de la Guyane et de la Nouvelle Calédonie, mais également au sud de Terre-Neuve et dans le Canal du Mozambique. 

Qu’il n’y ait pas de méprise : le terme de richesse ne doit pas nécessairement se comprendre comme se plaçant dans la folle course extractive. Au contraire, une réflexion est de miser sur la valeur nécessairement croissante de nos ressources dans les décennies et siècles à venir pour assurer leur protection et leur exploitation dans le très long terme environnemental. Mais, pour cela, encore faut-il les savoir et les connaître. 

Pour ce qui est du commerce, nous avons tant à retirer dans un monde où la voie des échanges de biens est maritime. D’abord, regardons la carte : où se situent nos façades sur l’échiquier du commerce maritime mondial ? Ensuite, rappelons-nous Danton : de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! 

  • Guadeloupe et Martinique sont sur la route des deux plus grand port des Caraïbes, Colón et Carthagène : que Pointe à Pitre ou Fort de France s’érige comme inévitable pôle des échanges en provenance et à destination d’Europe et d’Afrique ;
  • la Guyane est au centre d’un vaste littoral ceint des deux gigantesques bassins de l’Orénoque et de l’Amazone, partagé par cinq Etats et où, pourtant, aucun port de dimension internationale n’est établi : que Cayenne soit le plus grand port du Venezuela et le plus grand port du Nordeste brésilien ;
  • Mayotte et La Réunion sont au cœur de la route du Sud : tous les navires reliant l’Orient à l’Occident qui ne transitent ni par le Pacifique ni par la Méditerranée passent de part et d’autre de Madagascar : que Longoni et La Pointe des Galets soient institués relais pour tous les long-courriers franchissant Bonne Espérance ;
  • dans le Pacifique, les échanges entre Asie, Océanie et Amériques sont détournés vers la Mer de Chine et la Californie avant la grande traversée par le Nord : que Nouméa et Papeete offrent les moyens d’une plus courte liaison transpacifique par le Sud. 

Vu la situation actuelle, force est de constater que la situation géographique est une chose et qu’une autre est le bénéfice des vents et courants. Outre les investissements infrastructurels, ce développement doit s’accompagner d’une politique volontariste. Sur le plan commercial strict, cela passe par la participation aux accords de libre-échange régionaux, des partenariats bilatéraux avec les Etats alentours, une politique douanière attractive, etc. Sur le plan économique plus largement entendu, nos îles gagneront en sollicitations si nous faisons d’elles des pôles tertiaires de premier plan : dans les secteurs financier, d’affaire ou d’ingénierie, ce sont des Singapour régionaux qu’il s’agit de bâtir. Que la Défense ne soit pas que dans les Hauts de Seine.

 

La France Universelle hors d’Europe

Enfin, à côté de ces deux aspects militaire et économique qui s’attachent principalement à la protection d’intérêts propres, en est un – peut-être finalement le plus important – qui a la vocation universelle qui sied tant à l’idée que le monde se fait encore de la France et où le bénéfice est le progrès du genre humain : l’aspect scientifique. La Pérouse vaut bien un Duquesne ; Bougainville un Tourville. Pour un Malouin, Maupertuis vaut bien Duguay-Trouin. 

Si l’on parle mer, la France doit être au premier rang mondial de la recherche océanographique et s’ériger figure de proue de la préservation internationale des mers. Si l’on parle ciel, Kourou doit réunir les scientifiques de tous les pays n’ayant pas voix au chapitre en la matière pour devenir le premier pôle spatial international. 

Si l’on parle en général, la meilleure université d’Amérique Latine – en toute matière – ne doit plus être à Santiago, São Paulo ou Monterrey, mais aux Antilles et en Guyane ; la meilleure d’Afrique Australe et des rivages de l’Océan Indien ne doit plus être au Cap, Nairobi ou Bangalore mais à La Réunion et à Mayotte ; la meilleure d’Océanie non pas à Melbourne, Auckland ou Honolulu mais en Nouvelle Calédonie et Polynésie. Et chaque étudiant et professeur de ces mondes doit y être accueilli à bras et cœur ouverts.

Il va sans dire que la situation sociale s’en trouvera améliorée. Mais pour cela, il nous est indispensable de légitimer ces filles que nous ne parvenons pas à voir. Lointaines et si proches, lointaines et boussoles : la Franche archipel ne doit pas être qu’une réalité matérielle. Au même titre que « la France, ça n’est pas Paris », ça n’est pas non plus que cette magnifique terre entre mondes latin et germaniques. 

Chaque province de notre royaume à tous voit d’un œil et vit le monde d’un cœur différent. Tant d’ombres, tant d’énigmes et d’angoisses errent menaçantes dans notre univers européen ; autant de lueurs scintillent à l’horizon. En matière culturelle, la richesse ne soustrait rien : nous avons acquis d’être tant Artésien que Gascon, il nous faut quérir d’être autant Kanak et Gwada. Parlons de la mort comme l’on parle d’un fruit.

Alors le pacte liant la grandeur de la France à la liberté du monde trouvera de nouveaux siècles d’exécution. Reste à nous émanciper de notre condition de peuple terrestre et devenir au moins autant un peuple marin. Nous ne devons plus seulement voir la mer depuis la terre, mais également voir la terre depuis la mer. Inversons à volonté nos perspectives : l’Hexagone n’est rien d’autre qu’un territoire d’outre-mer situé en Europe. Rien n’est jamais trop tard, mais encore faut-il agir. Car aujourd’hui, nous sommes en 1494. 

 

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